Deuxième lettre d'amour Votre Lieutenant vient de me dire, qu'une tempête vous a obligé de
relâcher au royaume d'Algarve : je crains que vous n'ayez beaucoup
souffert sur la mer, et cette appréhension m'a tellement occupée, que
je n'ai plus pensé à tous mes maux ; êtes-vous bien persuadé que votre
Lieutenant prenne plus de part que moi à tout ce qui vous arrive ?
Pourquoi en est-il mieux informé, et enfin pourquoi ne m'avez-vous
point écrit ? Je suis bien malheureuse, si vous n'en avez trouvé aucune
occasion depuis votre départ, et je la suis bien davantage, si vous en
avez trouvé sans m'écrire ; votre injustice et votre ingratitude sont
extrêmes : mais je serais au désespoir, si elles vous attiraient
quelque malheur, et j'aime beaucoup mieux qu'elles demeurent sans
punition, que si j'en étais vengée :
je résiste à toutes les
apparences, qui me devraient persuader que vous ne m'aimez guère, et je
sens bien plus de disposition à m'abandonner aveuglément à ma Passion,
qu'aux raisons que vous me donnez de me plaindre de votre peu de soin :
que vous m'auriez épargné d'inquiétudes, si votre procédé eût été aussi
languissant les premiers jours que je vous vis, qu'il m'a paru depuis
quelque temps ! mais qui n'aurait été abusée, comme moi, par tant
d'empressements, et à qui n'eussent-ils pas paru sincères ?
Qu'on a de
peine à se résoudre à soupçonner longtemps la bonne foi de ceux qu'on
aime ! je vois bien que la moindre excuse vous suffit, et sans que vous
preniez le soin de m'en faire, l'amour que j'ai pour vous vous sert si
fidèlement, que je ne puis consentir à vous trouver coupable, que pour
jouir du sensible plaisir de vous justifier moi-même.
Vous m'avez
consommée par vos assiduités, vous m'avez enflammée par vos transports,
vous m'avez charmée par vos complaisances, vous m'avez assurée par vos
serments, mon inclination violente m'a séduite, et les suites de ces
commencements si agréables, et si heureux ne sont que des larmes, que
des soupirs, et qu'une mort funeste, sans que je puisse y porter aucun
remède.
Il est vrai que j'ai eu des plaisirs bien surprenants en vous
aimant : mais ils me coûtent d'étranges douleurs, et tous les
mouvements, que vous me causez, sont extrêmes.
Si j'avais résisté avec
opiniâtreté à votre amour, si je vous avais donné quelque sujet de
chagrin, et de jalousie pour vous enflammer davantage, si vous aviez
remarqué quelque ménagement artificieux dans ma conduite, si j'avais
enfin voulu opposer ma raison à l'inclination naturelle que j'ai pour
vous, dont vous me fîtes bientôt apercevoir (quoique mes efforts
eussent été sans doute inutiles) vous pourriez me punir sévèrement, et
vous servir de votre pouvoir : mais vous me parûtes aimable, avant que
vous m'eussiez dit que vous m'aimiez, vous me témoignâtes une grande
Passion, j'en fus ravie, et je m'abandonnai à vous aimer éperdument ;
vous n'étiez point aveuglé, comme moi, pourquoi avez-vous donc souffert
que je devinsse en l'état où je me trouve ?
Qu'est-ce que vous vouliez
faire de tous mes emportements, qui ne pouvaient vous être que très
importuns ? Vous saviez bien que vous ne seriez pas toujours en
Portugal, et pourquoi m'y avez-vous voulu choisir pour me rendre si
malheureuse ?
Vous eussiez trouvé sans doute en ce Pays quelque femme
qui eût été plus belle, avec laquelle vous eussiez eu autant de
plaisirs, puisque vous n'en cherchiez que de grossiers, qui vous eût
fidèlement aimé aussi longtemps qu'elle vous eût vu, que le temps eût
pu consoler de votre absence, et que vous auriez pu quitter sans
perfidie, et sans cruauté : ce procédé est bien plus d'un Tyran,
attaché à persécuter, que d'un Amant, qui ne doit penser qu'à plaire :
Hélas !
Pourquoi exercez-vous tant de rigueurs sur un coeur, qui est à
vous ? Je vois bien que vous êtes aussi facile à vous laisser persuader
contre moi, que je l'ai été à me laisser persuader en votre faveur ;
j'aurais résisté, sans avoir besoin de tout mon amour, et sans
m'apercevoir que j'eusse rien fait d'extraordinaire, à de plus grandes
raisons, que ne peuvent être celles qui vous ont obligé à me quitter :
elles m'eussent paru bien faibles et il n'y en a point, qui eussent
jamais pu m'arracher d'auprès de vous : mais vous avez voulu profiter
des prétextes, que vous avez trouvés de retourner en France ; un
vaisseau partait, que ne le laissiez-vous partir ?
Votre famille vous
avait écrit, ne savez-vous pas toutes les persécutions que j'ai
souffertes de la mienne ? Votre honneur vous engageait à m'abandonner,
ai-je pris quelque soin du mien ? Vous étiez obligé d'aller servir
votre Roi, si tout ce qu'on dit de lui est vrai, il n' a aucun besoin
de votre secours, et il vous aurait excusé.
J'eusse été trop heureuse, si nous avions passé notre vie ensemble :
mais puisqu'il fallait qu'une absence cruelle nous séparât, il me
semble que je dois être bien aise de n'avoir pas été infidèle, et je ne
voudrais pas pour toutes les choses du monde, avoir commis une action
si noire :
Quoi ? vous avez connu le fond de mon coeur, et de ma
tendresse, et vous avez pu vous résoudre à me laisser pour jamais, et à
m'exposer aux frayeurs, que je dois avoir, que vous ne vous souvenez
plus de moi, que pour me sacrifier à une nouvelle Passion ?
Je vois
bien que je vous aime, comme une folle : cependant je ne me plains
point de toute la violence des mouvements de mon coeur, je m'accoutume
à ses persécutions, et je ne pourrais vivre sans un plaisir, que je
découvre, et dont je jouis en vous aimant au milieu de mille douleurs :
mais je suis sans cesse persécutée avec un extrême désagrément par la
haine, et par le dégoût que j'ai pour toutes choses ; ma famille, mes
amis et ce Couvent me sont insupportables ; tout ce que je suis obligée
de voir, et tout ce qu'il faut que je fasse de toute nécessité, m'est
odieux : je suis si jalouse de ma Passion, qu'il me semble que toutes
mes actions, et que tous mes devoirs vous regardent : Oui, je fais
quelque scrupule, si je n'emploie tous les moments de ma vie pour vous
; que ferais-je, hélas !
sans tant de haine, et sans tant d'amour, qui
remplissent mon coeur ? Pourrais-je survivre à ce qui m'occupe
incessamment, pour mener une vie tranquille et languissante ? Ce vide
et cette insensibilité ne peuvent me convenir.
Tout le monde s'est
aperçu du changement entier de mon humeur, de mes manières, et de ma
personne ; ma Mère m'en a parlé avec aigreur, et ensuite avec quelque
bonté, je ne sais ce que je lui ai répondu, il me semble que je lui ai
tout avoué. Les Religieuses les plus sévères ont pitié de l'état où je
suis, il leur donne même quelque considération, et quelque ménagement
pour moi ; tout le monde est touché de mon amour, et vous demeurez dans
une profonde indifférence, sans m'écrire, que des lettres froides ;
pleines de redites ; la moitié du papier n'est pas remplie, et il
paraît grossièrement que vous mourez d'envie de les avoir achevées.
Dona Brites me persécuta ces jours passés pour me faire sortir de ma
chambre, et croyant me divertir, elle me mena promener sur le Balcon,
d'où l'on voit Mertola ; je la suivis, et je fus aussitôt frappée d'un
souvenir cruel, qui me fit pleurer tout le reste du jour : elle me
ramena, et je me jetai sur mon lit, où je fis mille réflexions sur le
peu d'apparence que je vois de guérir jamais : ce qu'on fait pour me
soulager aigrit ma douleur, et je retrouve dans les remèdes mêmes des
raisons particulières de m'affliger : je vous ai vu souvent passer en
ce lieu avec un air qui me charmait, et j'étais sur ce Balcon le jour
fatal que je commençai à sentir les premiers effets de ma Passion
malheureuse :
il me sembla que vous vouliez me plaire, quoique vous ne
me connussiez pas : je me persuadai que vous m'aviez remarquée entre
toutes celles qui étaient avec moi, je m'imaginai que lorsque vous vous
arrêtiez, vous étiez bien aise que je vous visse mieux, et j'admirasse
votre adresse, et votre bonne grâce, lorsque vous poussiez votre
cheval, j'étais surprise de quelque frayeur lorsque vous le faisiez
passer dans un endroit difficile : enfin je m'intéressais secrètement à
toutes vos actions, je sentais bien que vous ne m'étiez point
indifférent, et je prenais pour moi tout ce que vous faisiez :
Vous ne
connaissez que trop les suites de ces commencements, et quoique je
n'aie rien à ménager, je ne dois pas vous les écrire, de crainte de
vous rendre plus coupable, s'il est possible, que vous ne l'êtes, et
d'avoir à me reprocher tant d'efforts inutiles pour vous obliger à
m'être fidèle.
Vous ne le serez point : Puis-je espérer de mes lettres,
et de mes reproches ce que mon amour et mon abandonnement n'ont pu sur
votre ingratitude ? Je suis trop assurée de mon malheur, votre procédé
injuste ne me laisse pas la moindre raison d'en douter, et je dois tout
appréhender, puisque vous m'avez abandonnée. N'aurez-vous de charmes
que pour moi, et ne paraîtrez-vous pas agréable à d'autres yeux ?
Je
crois que je ne serai pas fâchée que les sentiments des autres
justifient les miens en quelque façon, et je voudrais que toutes les
femmes de France vous trouvassent aimable, qu'aucune ne vous aimât, et
qu'aucune ne vous plût : ce projet est ridicule, et impossible :
néanmoins, j'ai assez éprouvé que vous n'êtes guère capable d'un grand
entêtement, et que vous pourrez bien m'oublier sans aucun secours, et
sans y être contraint par une nouvelle Passion : peut-être, voudrais-je
que vous eussiez quelque prétexte raisonnable ?
Il est vrai que je
serais plus malheureuse, mais vous ne seriez pas si coupable : je vois
bien que vous demeurerez en France sans de grands plaisirs, avec une
entière liberté ; la fatigue d'un long voyage, quelque petite
bienséance, et la crainte de ne répondre pas à mes transports, vous
retiennent :
Ah ! ne m'appréhendez point ? Je me contenterai de vous
voir de temps en temps, et de savoir seulement que nous sommes en même
lieu : mais je me flatte, peut-être, et vous serez plus touché de la
rigueur et de la sévérité d'une autre, que vous ne l'avez été de mes
faveurs ; est-il possible que vous serez enflammé par de mauvais
traitements ?
Mais avant que de vous engager dans une grande Passion,
pensez bien à l'excès de mes douleurs, à l'incertitude de mes projets,
à la diversité de mes mouvements, à l'extravagance de mes Lettres, à
mes confiances, à mes désespoirs, à mes souhaits, à ma jalousie ? Ah !
vous allez vous rendre malheureux ; je vous conjure de profiter de
l'état où je suis, et qu'au moins ce que je souffre pour vous, ne vous
soit pas inutile ?
Vous me fîtes, il y a cinq ou six mois, une fâcheuse
confidence, et vous m'avouâtes de trop bonne foi que vous aviez aimé
une Dame en votre Pays : si elle vous empêche de revenir, mandez-le-moi
sans ménagement ? afin que je ne languisse plus ; quelque reste
d'espérance me soutient encore, et je serai bien aise (si elle ne doit
avoir aucune suite) de la perdre tout à fait, et de me perdre moi-même
; envoyez-moi son portrait avec quelqu'une de ses lettres ?
Et
écrivez-moi tout ce qu'elle vous dit ? J'y trouverais, peut-être, des
raisons de me consoler, ou de m'affliger davantage ; je ne puis
demeurer plus longtemps dans l'état où je suis, et il n'y a point de
changement qui ne me soit favorable ?
Je voudrais aussi avoir le
portrait de votre frère et de votre Belle-soeur : tout ce qui vous est
quelque chose m'est fort cher, et je suis entièrement dévouée à ce qui
vous touche : je ne me suis laissé aucune disposition de moi-même : Il
y a des moments, où il me semble que j'aurais assez de soumission pour
servir celle que vous aimez ; vos mauvais traitements et vos mépris
m'ont tellement abattue, que je n'ose quelquefois penser seulement,
qu'il me semble que je pourrais être jalouse sans vous déplaire, et que
je crois avoir le plus grand tort du monde de vous faire des reproches
: je suis souvent convaincue que je ne dois point vous faire voir avec
fureur, comme je fais, des sentiments, que vous désavouez.
Il y a
longtemps qu'un Officier attend votre Lettre ; j'avais résolu de
l'écrire d'une manière à vous la faire recevoir sans dégoût : mais elle
est trop extravagante, il faut la finir : Hélas ! il n'est pas en mon
pouvoir de m'y résoudre, il me semble que je vous parle, quand je vous
écris, et que vous m'êtes un peu plus présent : La première ne sera pas
si longue, ni si importune, vous pourrez l'ouvrir et la lire sur
l'assurance que je vous donne ; il est vrai que je ne dois point vous
parler d'une passion qui vous déplaît, et je ne vous en parlerai plus.
Il y aura un an dans peu de jours que je m'abandonnai toute à vous sans
ménagement : votre Passion me paraissait fort ardente, et fort sincère,
et je n'eusse jamais pensé que mes faveurs vous eussent assez rebuté,
pour vous obliger à faire cinq cent lieues, et à vous exposer à des
naufrages pour vous en éloigner ; personne ne m'était redevable d'un
pareil traitement : vous pouvez vous souvenir de ma pudeur, de ma
confusion et de mon désordre, mais vous ne vous souvenez pas de ce qui
vous engagerait à m'aimer malgré vous.
L'Officier qui doit vous porter
cette Lettre me mande pour la quatrième fois, qu'il veut partir ; qu'il
est pressant ! il abandonne sans doute quelque malheureuse en ce Pays.
Adieu, j'ai plus de peine à finir ma Lettre, que vous n'en avez eu à me
quitter, peut-être, pour toujours. Adieu, je n'ose vous donner mille
noms de tendresse, ni m'abandonner sans contrainte à tous mes
mouvements : je vous aime mille fois plus que ma vie, et mille fois
plus que je ne pense ; que vous m'êtes cher !
et que vous m'êtes cruel
! vous ne m'écrivez point, je n'ai pu m'empêcher de vous dire encore
cela ; je vais recommencer, et l'Officier partira ; qu'importe, qu'il
parte, j'écris plus pour moi que pour vous, je ne cherche qu'à me
soulager ; aussi bien la longueur de ma lettre vous fera peur, vous ne
la lirez point, qu'est-ce que j'ai fait pour être si malheureuse ?
Et
pourquoi avez-vous empoisonné ma vie ? Que ne suis-je née en un autre
Pays ? Adieu, pardonnez-moi ? Je n'ose plus vous prier de m'aimer ;
voyez où mon destin m'a réduite ? Adieu.
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Fin de la lettre 2 ème lettre d'amour... |
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