Portugalmania - Si tu avais une définition de toi à donner, quelle serait-elle ?
Dan Inger - Sur le plan personnel, je ne cherche pas à donner une image précise de moi. Je fonctionne
au coup de foudre et aux sentiments. J'essaye seulement d'avoir
une image digne. Sur le plan artistique, je me définirai
comme un artiste Roots. J'essaye néanmoins de toucher le
public le plus large possible.
Portugalmania - Tu refuses d'être enfermé dans un style (pop, rock, fado, blues, etc)... Ne parviens-tu pas à trouver ton
Graal musical, ou est-ce une préférence de ta part
pour la diversité ?
Dan Inger - J'ai évidemment mes préférences.
Néanmoins, je suis effectivement ouvert à divers styles
musicaux. Je ne veux pas me refuser à apprécier quelque
chose qui me touche. Bien que ce ne soit pas directement mon style
musical de prédiléction, si j'assiste à un
concert de Misia, Bevinda, de Maria teresa, ou Cristina Branco,
je ne peux qu'être touché par cette musique qui sort
du coeur. Je ne peux pas y rester insensible.
Portugalmania -
Parmi tous ces styles musicaux qui te touchent et
que tu abordes, as-tu néanmoins une préférence ?
Dan Inger - La préférence va d'emblée
à la musique que je sais faire, c'est à dire le folk.
Néanmoins, je ne souhaite pas me cantonner dans un style,
et je me refuse à faire un choix. De plus, les choix sont
conditionnées par l'époque, le contexte, etc... En
avançant dans l'âge, on a un regard plus large, on
s'intéresse à davantage de choses. Je veux être
comme un arbre qui pousse toujours vers la lumière. Si la
lumière vient à aller vers le reggae, j'irai vers
le reggae, mais je ferai quoi qu'il en soit toujours quelque chose
qui me ressemble.
Portugalmania -
Es-tu un interprète, un auteur, un compositeur,
ou tout cela à la fois ?
Dan Inger - Bien que j'aie une étiquette de
chanteur, je me sens en fait tout cela à la fois. Je me sens
un bon mélodiste, ce qui ne signifie pas forcémment
que je sois un grand musicien, mais je pense avoir le don de la
mélodie. En fait je suis concerné par chacune de ces
activités. Celle dans laquelle j'excelle le mieux, ce n'est
pas à moi d'en juger, mais au public.
Portugalmania -
Joues-tu de plusieurs intruments ?
Dan Inger - - Oui, je joue de la guitare, de l'harmonica, et un peu de batterie.
Portugalmania - En tant que professionnel, t'es-tu déjà
constitué des souvenirs ? Et si oui, quel est celui qui t'a
le plus marqué ?
Dan Inger - Oui. Un souvenir
récent d'un concert effectué avec le groupe, dans
lequel le public était d'une écoute et d'une réceptivité fantastique. Cette attitude ne peut que marquer un artiste.
D'une façon générale, les
meilleurs moments sont les souvenirs de concerts où le public
s'impliquait. On peut dire ce que l'on veut, mais 50% de la qualité
d'un concert dépend du public.
Ce qui est le plus touchant, c'est de jouer dans
une salle en sachant que le public vient pour toi, pour t'entendre.
Ca fait chaud au coeur. Bien des fois il m'a fallu contenir mes
larmes, du fait de l'émotion que cela m'a procuré.
Un artiste qui ne bénéficie pas de l'impact des médias
et du vedettariat "clés-en main", doit vraiment
aller à la conquête de son public au fil du temps,
et séduire les gens un par un. C'est du travail de fourmi,
mais quelle satisfaction, de s'apercevoir que l'on a un public qui
vous apprécie et qui vous le montre.
Portugalmania - Es-tu capable d'écouter tes chansons en boucle sans saturer ? Dan Inger - Quand j'écoute mes chansons d'une
manière générale, c'est que je ressens un besoin
de réconfort. Cela me permet aussi d'analyser le chemin parcouru.
Je peux ainsi me rendre compte du travail
accompli si je venais à disparaître demain. A part
cela, je ne fais pas partie des artistes qui s'écoutent de
façon démesurée.
Par contre, comme tout un chacun, quand je chantonne
dans la rue ou ailleurs, je vais peut-être te surprendre,
car ce ne sont pas mes chansons qui me passent d'emblée par
la tête, mais plutôt de l'Aznavour, des morceaux de
Lio, qui a des morceaux non commerciaux pratiquement inconnus du
grand public, des morceaux de Bevinda, ou encore de Bill Deraime
que j'apprécie énormément. Ce que j'aime dans ces moments, c'est me plonger l'espace d'un instant, dans l'univers
d'un artiste qui me ressemble.
Portugalmania - Est-ce que tu caches une souffrance en toi que tu exprimes par la musique ou par les chansons ?
Dan Inger - Certainement,
mais il m'est impossible de la cerner. (yeux levés au ciel)
Car c'est une sorte de souffrance inconsciente. Je ne peux donc
pas la définir.
Portugalmania - Est-ce que cette souffrance pourrait être due à une perte d'identité ?
Dan Inger - (sans hésiter)
A une certaine période de ma vie, certainement. Tout
d'abord, il se peut que la double identité culturelle Portugaise
et Française m'ait fait perdre quelques repères à
une période. Par ailleurs, sur le plan personnel, j'ai pris
conscience qu'il était très difficile de pousser à
côté d'un grand chêne. Il s'agit de mon père,
qui sans jeu de mots est menuisier-charpentier.
J'ai toujours été poursuivi par
le bois. J'ai d'ailleurs moi-même été petit
compagnon
charpentier, et puis la musique m'a pris. J'ai d'ailleurs toujours
dit, en parlant de la scène, que je préférais
monter sur les planches, plutôt que de les raboter. (rires).
Et puis ce n'est peut-être pas par hasard si mon instrument
de prédilection est en bois !
Portugalmania
- Qu'en est-il du groupe Gone With the Swing ?
Mènes-tu plusieurs carrières de pair ?
Dan Inger - Oui. Mener de front une carrière
en solo et une carrière en groupe, est une approche qui n'est
pas trop pratiquée en France, mais elle l'est ailleurs, que
ce soit aux USA ou encore au Portugal. Rui Veloso en est un exemple.
Même en ayant ma carrière en solo,
je veux continuer à vivre une aventure en groupe, avec deux
musiciens qui sont aussi des amis très proches. Cela permet
aussi de mettre leur talent en avant. J'ai passé de très
bons moments avec Gone With the Swing, et j'espère en passer
encore beaucoup d'autres.
Portugalmania - Trouves-tu que le Blues et le Fado se rejoignent quelque part ?
Dan Inger - Je le crois, car les sons et la sensibilité
de ces deux styles musicaux sont très proches. J'ai toujours
été dans l'univers du Blues, et le fado était
plus proche de mes racines, mais paradoxalement je le connaissais
assez mal. J'ai d'ailleurs souhaité me rapprocher du monde
du Fado, ne serais-ce que par le biais de Gaivota (une association
qui défend le fado).
Ces deux mondes sont très proches, et
ne véhiculent pas que la mélancolie ou la tristesse,
mais également la joie de vivre ou les bonheurs quotidiens.
(il cita des exemples).
Portugalmania - Mais de Neil Young à Amalia n'y a-t-il pas un gouffre ?
Dan Inger - Peut-être. Ils n'ont rien à
voir en tant qu'artistes, car l'un était musicien, et l'autre
interprète. Mais encore une fois, on peut tout à fait
apprécier deux styles d'artistes différents. Rien
n'empêche d'aimer l'un et l'autre. A L'image des navigateurs
portugais, qui à chaque escale évoluaient un peu plus
au contact de gens à chaque fois différents, je pense
que chaque rencontre ou découverte musicale, est enrichissante.
Je revendique le droit d'aimer les genres variés.
Par rapport à mes chansons, je revendique aussi le droit
de jouer des styles différents. On pourrait me dire que je
fais de la variété, ce que je ne crois pas. Mais ce
ne serait pas faux, si le mot variété signifie un
mélange des styles.
Portugalmania - Cette revendication à la multiplicité des styles et à l'hétérogénéité
des genres, n'est-elle pas simplement un désir de liberté ?
Dan Inger - Oui, je le pense. Ce que je souhaite
c'est avoir du plaisir à construire des choses différentes,
et si ma musique plait au public le plus large possible, tant mieux.
J'en serai heureux. Cependant, je ne fais pas les choses dans le
but de plaire à tout le monde.
Portugalmania
- "Atlantico Blues", ton nouvel album
a un très joli nom.. Est-ce qu'il s'agit d'une voie à
explorer ?
Dan Inger - Cet album, et Portugalmania a la primeur
de cette information, devait à l'origine s'appeler Luso-Blues.
Car ce blues n'est pas du blues classique connu des puristes, mais
du blues à connotation de fado. De plus, Le terme Luso disait
bien qu'il était chanté en portugais. Ma maison de
disque trouvait ce nom excellent.
Et une nuit, j'ai fait un rêve. J'ai rêvé
que l'album avait pour titre Atlantico Blues. Je n'en connais pas
la raison, mais en réfléchissant bien, finalement,
toutes les musiques que j'aime sont arrosées par l'Atlantique.
L'Atlantique est un symbole, et je l'ai vraiment ressenti.
Ce nom m'a plu, et finalement j'ai réussi à faire
en sorte que cela devienne le titre de l'album.
Portugalmania
- Au-de là d'un style, Atlantico-Blues est
un terme original. Pourrait-il devenir aussi une sorte de slogan
?
Dan Inger - Peut-être que des professionnels
du marketing sont entrés dans mon rêve, et m'ont conseillé
ce terme pendant mon sommeil. Mais le fait est, que je trouve que
cela sonne bien, et que je me sens bizarrement réellement
imprégné de ce terme. Atlantico évoque l'atlantique
en général, et il a une consonance portugaise.
Portugalmania
- Origine, racines, influences... Est-ce que tu
revendiques une étiquette portugaise ? Pas dans le sens nationaliste
brandissant le drapeau, mais une étiquette qui met en avant
tes origines ?
Dan Inger - Je te ferai une réponse simple.
Ma carte d'identité stipule que je suis de nationalité
française et d'origine portugaise. Cette approche me convient,
et de plus c'est la réalité. Je me sens français
par ma culture, je trouve que la France est un pays beau et formidable.
Mais par ailleurs mon vrai
nom est Daniel Dos Santos, et avec ce nom, il me serait difficile d'oublier
mes origines. (rires).
D'ailleurs, j'aurais beau le vouloir, je ne pourrais
rien y changer. Mes parents, même s'ils vivent en France,
sont portugais, et le sang qui coule dans mes veines est portugais.
C'est ainsi, et cet apport de deux cultures est une très
bonne chose.
Portugalmania
- Si tu devais choisir, préférerais-tu
t'adresser à un public français ou portugais ?
(il encaisse la question
et ne semble même pas agacé par mon insistance :)
Dan Inger - Est-ce qu'on demande à Sting s'il
s'adresse à un public anglais ou à un public autre
? Je ce que je souhaite, c'est chanter pour le plus de gens possible,
et la nationalité n'entre pas en compte. Je suis chez
moi, là où l'on m'aime. (yeux rieurs)
Portugalmania
- Qu'est-ce que tu changerais sur le plan de la
musique-business si tu avais le pouvoir suprême ?
Dan Inger - Je ne sais pas si je changerais beaucoup
de choses. C'est difficile de refaire le monde. Mais je ferais en
sorte que le public ait une vraie information, non orientée
uniquement par les considérations marchandes.
Portugalmania
- Qui aurais-tu voulu être si tu n'étais
pas toi ?
Dan Inger - Au départ, certainement beaucoup
de monde. Mais finalement tu t'aperçois que ces personnes
que tu admires à un moment donné, ne correspondent
pas forcément à ton idéal.
Ce n'est pas que
je m'aime particulièrement, mais j'ai appris à vivre
avec moi même, je me connais et je me sais sincère
dans mon approche. Donc je préfère ne pas prendre
le risque de me tromper en étant quelqu'un d'autre. Je pense
avoir un certain équilibre, et j'espère le garder
longtemps.
Portugalmania
- Que peux-tu dire sur ton nouveau single avec
Lio intitulé "Noite e Ressaca" ?
Dan Inger - Le texte en lui-même parle d'une
histoire d'amour... pendant une nuit. Cela parle d'un moment qu'on
aurait pu vivre. Attention, nous ne l'avons pas vécu (rires).
Mais on aurait pu vivre ce moment à une certaine époque.
Je suis ravi que Lio ait accepté de faire ce duo avec moi, et je suis vraiment content que ce soit elle, et pas quelqu'un d'autre.
Car quand j'étais enfant et qu'elle était
déjà une artiste, j'étais tombé amoureux
d'elle. Je ne savais d'ailleurs pas à l'époque qu'elle
était d'origine portugaise. Je lui trouvais une énorme
sensualité, et elle représentait ce que personne ne
représentait. Un talent, une désinvolture, un côté
rebelle et une beauté naturelle. Je suis très fier
qu'elle ait accepté ce duo.
Portugalmania
- Quelle autre question aurais-je pu te poser ?
Dan Inger - (très légère hésitation)...
Tu aurais pu me demander pourquoi mon nom d'artiste est Dan Inger.
Ce à quoi j'aurais répondu qu'il y a une quinzaine
d'années, lors d'une audition pour un spectacle, il se trouve
que la personne qui m'auditionnait était un portugais. C'est
un pur hasard. Il possédait une chaîne de restaurants
dîners-spectacles et cherchait un artiste, et j'ai été
sélectionné.
Il a tenu à ce que je prenne un nom de
scène, et m'avait lui-même plus ou moins imposé
le pseudonyme de Dany Singer. J'ai donc chanté un an sous
ce pseudonyme, sans réellement l'apprécier. Mais par
la suite, j'ai tenu à le modifier un peu. Je dois dire que
ces modifications m'ont assez perturbé à l'époque.
Mais aujourd'hui je suis bien en phase avec ça. Je signe
mes textes sous mon vrai nom (Daniel dos santos), mon nom de scène
est Dan Inger, et il me convient très bien en tant qu'artiste.
Portugalmania
- Est-tu prêt à "coucher"
pour atteindre les plus hauts sommets ?
Dan Inger - Moi je veux bien, mais avec qui ? (rires).
Non. C'est clairement non, mais de toute façon, on ne me
l'a jamais proposé.
Portugalmania
- Merci Dan. Dan Inger - C'est moi qui te remercie. Tout le plaisir
était pour moi.
Interview de Dan Inger - Mai 2003 - Portugalmania
Site de Dan Inger
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