Impressions de
mouettes sur une conjugaison plurielle...
Deux
mouettes
survolent une sorte de coquille de noix
blanche dérivant lentement sur une immensité
bleutée où tout paraît tranquille...
L'intérieur semble vide,
quoiqu'en y regardant de plus près avec
une curiosité de mouette, on peut apercevoir
deux ombres allongées et inertes gisant
au fond de l'embarcation.
Deux corps à moitié dévêtus
étalent ainsi sans pudeur leur reliefs à
ces paparazzis des airs, n'ayant évidemment
pas
payé la place pour assister à un spectacle
qui au fond n'en est pas un.
La quiétude initiale
régnant dans l'embarcation laisse peu à peu la place à de
légères traces d'agitation
qui semblent brusquement vouloir renaître.
Ce changement de scène inattendu ne manque
pas d'effrayer ces spectateurs privilégiés
auquel rien n'échappe. Quoique "effrayer"
est un bien grand mot, car si les oiseaux-curieux se
sont un instant éloignés par méfiance, ils
reviennent
aussitôt à la charge.
Ils observent avec
un certain étonnement quatre bras qui s'entrecroisent
désormais avec lenteur, deux têtes qui s'unissent
bizarrement pour n'en former qu'une, et
des
jambes qui s'enlacent et s'entrelacent formant
un subtil jeu d'ombres et de lumières.
Mais que peuvent donc
faire deux humains ainsi enchevêtrés ? Se
demandent les volatiles intrigués. En
quoi consiste ce jeux de mains s'étalant
sur des monceaux de peau dénudée ? Que signifient
ces gestes désordonnés des bras, des jambes
et des têtes ? Sans doute une forme de langage
étrange dont les bipèdes ont le secret.
Et ils semblent en raffoler,
de ce dialogue gestuel et de ces mouvements
enthousiastes qui commencent à devenir plus ordonnés et parfaitement rythmés, au
point que les deux masses n'en forment plus
qu'une.
Quel méli-mélo, ce langage
bizarre des humains. Et les voilà qui désormais
gesticulent
avec entrain, émettant
par moments des sonorités étranges qu'ils ne semblent
même pas contrôler. S'amuseraient-ils à
imiter d'autres animaux ?
Les intrus volants assistent
à cet énigmatique ballet sans en perdre une miette.
Ils tentent désespérément de décoder la
signification de chaque geste effectué par
les deux acteurs allongés au fond du bateau.
Cédant de plus en plus
à leur curiosité les mouettes s'approchent
davantage, ce qui leur permet désormais
d'être aux toutes premières loges et d'avoir
une vision plus réaliste du manège entrepris
par les occupants de l'embarcation.
Etrange, cette façon
de se tenir assise sur son partenaire
allongé. Curieux, ce dandinement du buste
faisant voler la chevelure dans tous les
sens. Et pourquoi a-t-elle les yeux bandés
?
Les deux voyeurs des
airs ne peuvent s'empêcher de penser que cette
façon de communiquer est une sorte de rite
adopté par l'espèce humaine, car les deux
acteurs s'appliquent et s'efforcent de maintenir
une cadence synchrone dans leurs mouvements.
Sans doute est-ce une prière récitée en
commun...
Souffriraient-ils ? Ca
a l'air d'être le cas car ils poussent
de légers cris de douleur, tandis que
leurs visages grimacent. Le ton monte subitement
et les plaintes s'amplifient. Les remous s'accélèrent.
Les gestes se saccadent. Ils paraissent
avoir hâte d'en finir.
L'ampleur de leurs contorsions
s'intensifie et leur posture n'est plus vraiment
uniforme. Leur comportement ressemble
de plus en plus à une lutte.
Ils affichent l'expression de gens qui souffrent,
quoique non... Celui qui est dessous ouvre
enfin les yeux et contemple son adversaire
avec insistance.
La bipède assise balance sa tête
d'avant en arrière. Elle s'affole. L'homme gémit,
mais ses gémissements sont aussitôt couverts
par ceux de la femme. Font-ils un concours
? Ils paraissent tous deux plongés malgré eux dans
les profondeurs de la douleur. Quel étrange
tableau que cette représentation ainsi offerte
à ces deux animaux de passage.
Les mouettes se regardent
un instant, intriguées par cette exhibition
fantaisiste. Si elles avaient des épaules,
elles les hausseraient vraisemblablement en signe
d'incompréhension. Comment ce show
déconcertant se finira-t-il ?
La réponse arrive, puisque les corps se
rejoignent dans un élan commun, s'unissant fermement
et avec une détermination confortée par une
sorte de clameur finale convulsive, marquant
manifestement la fin de cette
énigmatique séquence.
De mémoire de mouette,
on ne se souvient pas d'avoir déjà assisté
à une telle cérémonie. Le
calme fait soudainement place au tumulte.
Les acteurs de ce fascinant spectacle unissent
alors leurs bouches, sans doute pour
se féliciter d'avoir suivi
ce protocole avec entrain.
Décidément, elles sont
bien mystérieuses les coutumes de la gente
humaine, pensent les deux volatiles qui
s'empressent déjà de rejoindre d'autres
cieux, encore étonnés par l'attitude des
deux protagonistes croisés par le hasard
du trajet.
Nous vivons résolument dans un
bien étrange monde, semblent-ils dire au
ciel, tandis que leur image s'estompe au
fil de leur battement d'ailes.
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