- Ca m'étonnerait, dit Antoine.
- Pardon ? Répond-elle étonnée.
- Oui, j'ai cru vous entendre
penser tout haut que nos chemins allaient se séparer
là, et donc, je dis que cela m'étonnerait.
Voyant
son air interloqué, Antoine poursuit :
-
Oui, vous m'avez bien promis que nous prendrions
un verre ensemble ? Et je suis certain que vous
êtes quelqu'un qui tient ses promesses, dit-il d'un
air canaille.
-
Gonflé ! D'abord je ne vous ai pas répondu, je vous
au souri, ce qui est différent, et puis, mon sourire
n'évoquait pas l'idée de prendre un verre mais
un café, un bon café portugais, ce qui n'est pas
du tout la même chose, réplique-t-elle l'air très
sûre d'elle.
-
Gagné, répond-il. Vous avez gagné. C'est donc moi
qui vous invite, et je vous avoue que moi aussi
j'adore le café au Portugal. Je ne vois d'ailleurs
pas comment il pourrait en être autrement, ajoute-t-il,
tandis qu'ils se dirigent vers le taxi le plus proche.
-
Comment faisons-nous ? Demanda Antoine quand il
s'aperçut soudain, une fois installé à l'arrière
du taxi, que le chauffeur attendait des consignes.
-
Bonne question, dit-elle. C'est un peu improvisé.
Je ne sais pas. Mais qu'allons-nous faire des bagages
? Ce n'est pas très pratique. Si vous voulez, comme
j'ai déjà un hôtel réservé, nous pouvons y passer
au préalable, y laisser les bagages à la réception,
puis aller prendre un café à une terrasse Lisboète.
-
C'est parti. Répond-il, tandis qu'elle indique l'adresse
de l'hôtel au chauffeur.
Le
taxi démarre, et se dirige vers le centre de Lisbonne.
-
Quel est votre programme ? Demande Antoine. Vous
restez un jour à Lisbonne avant d'aller dans votre
village, ou plutôt celui de votre famille que vous
avez évoqué dans l'avion ?
-
Non, je vais rester une semaine à Lisbonne afin
de vraiment renaître, de me préparer en retrouvant
le Portugal peu à peu, sentir les parfums, m'imprégner
des couleurs, de l'ambiance, du rythme particulier des portugais et m’envelopper
dans leur nonchalance. Même si Lisbonne n'est pas
représentative du pays, ce sera une première immersion, une sorte de baptême,
afin de me laisser le temps de m’y faire, de savourer peu à peu. J'en ai besoin.
- Je comprends, dit Antoine. Ca me semble normal.
Pour ma part, poursuit-il, je serai ici pour deux
mois, comme je vous l'ai dit. Mon job me plaît beaucoup,
ou plutôt me passionne. Et j'avoue qu'un séjour
au Portugal me ravit. C'est la troisième fois
que j'y viens en trois ans. Ce sera le plus long
séjour, mais aussi le dernier. Après j'arrête les
déplacements, car j'arrive à un âge où je voudrais
me stabiliser un peu.
- Vous avez raison Antoine. Il faut tenter
d'un peu orienter sa vie en fonction de ses souhaits,
sinon de ses rêves, répond-elle, car si on n'y prend
pas garde, on se retrouve dans un autre monde, sans
même avoir vécu ce que l'on souhaite au fond de
nous mêmes.
Gâcher sa vie bêtement, en se laissant entraîner
par une histoire qui ne nous correspond pas,
qui ne nous convient pas, n'est-ce pas une forme
de médiocrité ? Demande-t-elle.
- Sans doute. Mais on ne choisit pas toujours, ou
on n'a pas nécessairement les moyens de choisir.
Vivre ou survivre est parfois déjà assez difficile
en soi pour beaucoup de gens.
- Bien sûr. Je crois d'ailleurs que c'est un luxe.
Dit-elle. Je ne fais pas référence aux détails,
mais aux grands axes vers lesquels nous sentons
que nous devons diriger notre existence.
Le taxi file sur l'avenue Fontes Pereira de Melo,
s'approchant de la place du Marquis
de Pombal. En pleine après-midi, la circulation est
d'une grande fluidité dans la capitale. Les murs
de Lisbonne sont étrangement colorés, de façon presque
anarchique, comme s'ils avaient été rapidement décorés
afin de se parer pour l'arrivée impromptue
d'une hypothétique princesse.
La princesse n'en perd pas une miette. Les yeux
écarquillés elle semble dévorer du regard ces images
de Lisbonne qui défilent, et qui font désormais
déjà partie d'elle...
S'il y a dans l'existence de frêles moments
de bonheur que l'on peut saisir, celui-ci en est
un pour elle, en apparence un bonheur simple, mais
dont l'intensité est en train d'accoucher d'une
étoile qui illumine déjà son regard et sa vie.