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La Portugaise

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Après quelques échanges entre les deux femmes au sujet de la vie à Lisbonne et du traitement de l'aspect de la santé au Portugal, la vieille dame ramène à nouveau la conversation sur l'accident, mettant l'accent sur des détails précis.

Mais s'apercevant que sa visiteuse semble ne rien ignorer de sa mésaventure, la "malade" questionne alors :

- Excusez-moi, dit-elle, je suis un peu étonnée. Comment savez-vous tout cela ?

- Oh, il est bien inutile de tenter de tout expliquer. Disons que je sais. On sait parfois beaucoup de choses sans même savoir que l'on sait. Répond la vieille dame d'une voix rassurante, voyant la mine intriguée de sa partenaire de conversation improvisée. Et elle poursuit...

- Toutes vos petites blessures commencent à devenir des petites cicatrices : Je vais vous donner un conseil. Maintenant qu'elles ne sont plus vraiment à vif, passez de la vaseline autant que vous pouvez sur toutes vos plaies, et sur les débuts de cicatrices, et massez bien ces endroits autant que vous pourrez, dit-elle. Ainsi, vous verrez très rapidement que toutes les traces de votre mésaventure disparaîtront comme par miracle. Il n'en restera plus rien. Finit-elle, d'un ton persuadé et enjoué.

- Vous croyez ? Questionne la jeune femme. Vous voulez dire que je ne garderai réellement aucune trace ? Aucune ? Vous êtes sûre ? Comment est-ce possible ?

- Je ne fais pas de la médecine, répond la visiteuse. Je laisse ça aux médecins qui sont bien plus compétents. Mais pour des petits tracas de la vie, parfois il y a des solutions très simples et très efficaces que la plupart des gens ignorent.

- Merci beaucoup du conseil, s'empresse l'air ravi, de répondre l'accidentée tout en réajustant le bandeau qui lui cache les yeux. Bien que je sois un peu sceptique, j'essayerai sans faute. De toute façon je n'ai rien à perdre, et ce serait dommage de conserver une multitude de traces de mon accident. Ca m'ennuyerait vraiment. Je n'arrêterai donc pas jusqu'à ce que tout ait disparu. Hum, ce serait génial ! Et elle poursuit...

- Je ne cherche pas à comprendre, mais vous devez être une sorte d'ange. Finit-elle.

- Euh, non ma petite. Même s'il y a un ange en chacun de nous, le vrai ange c'est vous. Mais ça, vous ne le savez pas encore. Répond alors la visiteuse, qui enchaîne immédiatement...

- Un autre conseil, petit ange. Ce que vous cherchez, ce dont vous rêvez et ce que vous espérez, faites tout pour le réussir. N'hésitez pas à faire des sacrifices ni à vous battre. Jamais. De toute façon on ne peut pas changer radicalement le cours de sa vie, mais on l'influence. Alors, autant l'épouser mais en jonglant intelligemment avec ses caprices.

- Euh... Epouser qui ? Questionne la jeune femme un peu déroutée par les propos de sa drôle d'interlocutrice, autant que par l'étrange situation dans laquelle elle se retrouve.

- Ah, ah. Epouser la vie, bien sûr ! C'est le mariage le plus sûr que l'on puisse faire, lance la visiteuse dans un rire épanoui. La plupart des gens souffrent, poursuit-elle, car ils ne font en réalité rien pour forcer un peu le cours des choses ni pour combattre l'adversité.

Attention, continue la vielle dame, autant notre existence n'accepte pas que l'on saute les étapes ou que l'on triche, autant elle n'apprécie pas que nous baissions les bras. Comme on dit que pour être belle il faut souffrir; pour être heureuse, aussi. C'est l'équilibre naturel des choses, et il ne faut pas le contrarier. Ce qui vient de vous arriver est au fond normal. Toutes les entraves au bonheur sont des sortes de tests. Ce qu'il faut, c'est bien garder la tête sur les épaules, prendre ce qu'il y a de bon dans les conseils des autres puis se forger sa propre expérience, mais sans jamais se laisser influencer à mauvais escient.

Il faut rester lucide en toute circonstance et lutter sans jamais abandonner la partie. Poursuit-elle. Toutes les épreuves nous rendent plus forts si on les affronte avec vaillance. Et si on fait l'effort de les attaquer de front et de les vaincre, c'est qu'on mérite la part de bonheur ou le rêve que l'on souhaite atteindre, et qui en fait se trouve souvent juste de l'autre côté de la barrière que l'on vient de franchir.

Prenez les mauvais moments avec une certaine désinvolture, mais n'hésitez jamais à les affronter bien en face afin de passer les caps. A chaque barrage que vous passerez, vous serez récompensée et obtiendrez alors ce que vous attendiez et au fond ce que vous méritez. Finit-elle.

La jeune femme est de plus en plus intriguée, mais écoute sans relâcher son attention, le discours que la visiteuse lui prodigue d'une voix suave et posée. Le fait d'avoir les yeux plongés malgré elle dans une obscurité totale, lui permet de maintenir un niveau de concentration sans égal. Elle répond : Je vous écoute avec une grande attention, même si je suis étonnée par la situation.

- C'est normal, répond la vielle dame. Mais ne négligez pas ces conseils. En ce qui concerne votre histoire à vous, vous irez de l'avant pour ensuite revenir sur vos pas, car le bonheur est souvent là où on ne pense pas le trouver. C'est aussi pour cela que l'on a souvent du mal à le rencontrer. Vous ne le verrez pas immédiatement car il se cachera afin de défier votre ténacité. Mais vous le verrez quand ce sera le moment et si vous le méritez vraiment. Vous verrez, répète-t-elle.

- Je verrai ? Questionne la jeune femme.

- Oui, vous verrez. Répond la visiteuse en ayant pris soin de saluer la jeune femme et en s'éloignant déjà en direction de la sortie, afin d'aller rejoindre le petit Pedro qui s'en est probablement allé "visiter" une autre chambre.

- Euh... Je verrai ? Avec mes yeux ? Vous voulez dire que mes yeux le verront ? Lance la jeune femme, s'attendant à une réponse avant que son interlocutrice ne parte.

Trop tard. L'étrange dame est déjà sortie de la chambre laissant la jeune femme pensive, répétant incessamment les derniers mots de sa visiteuse prononcés avec une immense douceur : "vous verrez", "vous verrez"...

Mais lui viennent également vite à l'idée les conseils et les phrases qu'elle vient de recevoir malgré elle, ou du moins ce qu'il en reste dans sa mémoire : "il faut se battre", "faire face aux entraves de toutes ses forces", "affronter les obstacles avec vaillance et sans répit", "il faut mériter le bonheur en parvenant à se sortir des épreuves", "ne jamais abandonner", et... "j'irai de l'avant pour ensuite revenir sur mes pas"...

Trois secondes plus tard, elle se dit intérieurement : "Revenir sur mes pas ?"

 

 

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