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La Portugaise

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La main ingénieuse et habile devient désormais une caravelle  naviguant sur les flots de ses entrailles.

Ce bateau ivre poussé par le vent de l'envie, se perd dans l'immensité des océans aux contours flous et à l'horizon incertain, ceux qui ont toujours captivé l'attention des hommes et aiguisé leur esprit d'aventure, suscitant en eux l'envie de conquérir des terres lointaines, aboutissant même parfois sur d'autres existences.

Les palpitations de son cœur se transforment en notes joyeuses posées sur la  partition d'une musique langoureuse et terriblement excitante, accompagnant le flottement de l'instant et du moment suspendu... La grâce et la légèreté se confondent avec le charnel et le délice.

Les ruisseaux deviennent des rivières que l'imagination pousse à épouser les méandres des reliefs qu'elles contournent avec un évident plaisir, avant de plonger à corps perdu dans la mer.  La nature a soif de bien-être et d'harmonie.

Elle sent les prémices de l'extase s'approcher. Elle sait qu'elle n'en est plus qu'à quelques doigts, ceux-là même qui vagabondent par monts et par vaux sur sa peau, découvrant l'immensité de ses envies et la diversité de sa féminité offerte. Au bout du chemin, un flot lumineux rayonnera sur sa splendeur.

Elle lutte maintenant pour parvenir à se maintenir immobile, désirant prolonger ces instants qu'elle souhaiterait éternels. Mais son corps flanche et s'agite par quelques secousses incontrôlées. Sa conscience vacille dans cet élan de bonheur. Tous les clochers du monde se mettent à sonner à l'unisson. Douceur et fièvre commencent à danser ensemble dans une farandole de délectation.

Sa respiration se saccade. Le rythme de ses soupirs s'accélère. Le vertige la gagne. Tout s'enflamme. Elle sent qu'elle chavire et perd la notion du temps et de l'espace. Son souffle se transforme en tempête. Son corps propulse des monceaux de volupté. Elle devient subitement pressée d'atteindre les sommets d'un néant désormais accessible, et se laisse alors emporter par un délicieux tourbillon de félicité...

Elle vient d'être engloutie par des vagues insensées surgies des profondeurs d'un océan paradoxalement tendre et sauvage. Tout son être flotte désormais paisiblement dans la quiétude infinie d'un ciel d'azur, au-dessus du temps, au-dessus d'elle-même. Le calme parfait succède peu à peu à la tornade ravageuse et enivrante...

***

Sa bouche s'entrouvre alors et puise un brin de ressource qui lui permet de murmurer en soupirant :

- Hum, je crois que ...

Elle n'a pas le temps d'achever sa phrase ! Un chuchotement vient brusquement la sortir de ses songes voluptueux, la propulsant ainsi dans la réalité d'une façon visiblement si violente, qu'elle semble complètement perdue.

- Bonjour Princesse. Dit une voix ressemblant étrangement à la voix d'Antoine.

De toute évidence désorientée, elle bafouille à voix haute: Qu'est-ce que c'est ? Qui est là ?

Encore sous le choc du long voyage qu'elle vient d'entreprendre et visiblement désemparée, elle se recroqueville maladroitement sur son lit tout en se recouvrant avec le drap, comme pour mieux préserver son intimité, et lance interrogative...

- Euh... C'est vous Antoine ?

Totalement décontenancée par le contexte et son réveil subit, elle semble avoir beaucoup de mal à dissocier rêve et réalité. Elle n'entend même pas la réponse de son visiteur et lance : Vous êtes là depuis longtemps ?

- Non. Depuis deux petites minutes seulement. Savez-vous l'heure qu'il est ? lance-t-il en riant. Et il poursuit : Je suis passé tout à l'heure mais vous dormiez profondément. Les infirmières m'ont dit que vous dormiez depuis des lustres. elles vous ont d'ailleurs laissée faire, afin que vous récupériez vraiment et ne vous ont donc même pas réveillée pour le petit déjeuner.

Du coup, je n'ai pas voulu interrompre votre sommeil et je suis allé faire un tour. Tenez, j'en ai profité pour vous acheter des croissants, finit-il de dire.

- Ah ? Nous sommes déjà demain ? Euh, je veux dire le matin ? J'ai dormi pendant si longtemps que ça ? Demande-t-elle visiblement déconnectée de toute réalité temporelle.

- Le matin, oui. Bien avancé d'ailleurs, dit Antoine. Après ce long sommeil vous devez être en pleine forme. Je n'ai osé entrer que parce qu'en frappant à la porte, il m'avait semblé vous entendre.

Mais une fois entré je me suis aperçu qu'en fait vous dormiez encore, et que vous deviez probablement rêver. Vous étiez même un peu agitée. J'allais donc repartir, mais comme vous avez murmuré quelques mots, et vu l'heure, je me suis en fin de compte décidé à vous parler. J'espère ne pas vous avoir sortie d'un beau rêve? Termine-t-il en souriant.

La portion du visage de la jeune femme non couverte par le bandeau lui entourant les yeux, rougit alors une vitesse vertigineuse. Face à cette question d'Antoine, elle se sent envahie par une terrible gêne, d'autant plus qu'elle se souvient encore parfaitement de son rêve. Elle éprouve le plus grand mal à le dissocier de la réalité. Tout s'amalgame et s'enchevêtre, rendant bien embarrassant le contexte si savoureux des minutes précédentes.

Il y a quelques minutes à peine, Antoine avait des contours flous et était devenu le majestueux pilote de tous ses sens, inventif et chevronné, et entre les mains duquel elle abandonnait les profondeurs de son être, sinon de son âme et de son coeur. Et désormais il est là, bien réel, face à elle, à lui parler.

Le doute finit même par l'envahir. Où est la frontière entre le rêve et la réalité ?

 

 

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