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La Portugaise

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LA MERCela fait maintenant plus d'une demi-heure que la nonchalance du lieu produit un effet presque magique sur eux. Ils sont confortablement adossés côte à côte, et face à une vue plongeante et captivante sur la capitale portugaise.

Antoine n'a de cesse de la décrire avec talent et enthousiasme, allant presque jusqu'à remplacer avantageusement les yeux de son interlocutrice. C'est du moins l'avis de cette dernière qui ne peut qu'en être ravie.

Si en soirée le Chapitô déborde de monde, ce n'est pas du tout le cas à cette heure du jour. Cela procure donc une sérénité à l'endroit, quasiment devenu un belvédère dédié à un moment de quiétude pour deux êtres en quête d'harmonie, et dégustant avec gourmandise un cocktail aussi savoureux que joliment coloré.

Les paroles et les silences se succèdent au rythme des brins de vent bienvenus et rafraîchissants qui parfois s'aventurent jusqu'en ce lieu devenu le leur. Chaleur du soleil et moments apaisants de fraîcheur se sont donnés rendez-vous là, justement là, où un parfum inexplicable de tendresse semble peu à peu avoir planté son magnifique décor.

Ils parlent, ils sourient, il voit... elle imagine.

Il dit, elle écoute, il enjolive... elle rêve.

Elle rit, il suit, elle pense... il devine.

Ils sentent tous deux les agréables effluves que les brins de vent magnifient, les rapprochant ainsi petit à petit par des impressions communes dosées à souhait, comme si Lisbonne désirait avec complaisance engendrer une sorte d'atmosphère propice au laisser aller des coeurs et des sensations.

Antoine demande à sa compagne de croiser un de leurs bras, celui par lequel ils tiennent respectivement leur verre. Et ils boivent ainsi simultanément une gorgée en silence.

- Antoine, essayez de ne pas faire de rapprochements. C'est uniquement pour avoir votre point de vue. Imaginons qu'un jour vous connaissiez une personne qui vous plaise vraiment, que vous aimiez, que vous appréciez, et avec laquelle vous vous sentiez bien. Bref, une entente quasi-parfaite sur tous les plans. Je dis bien sur tous les plans. Finit-elle de dire sur un ton dont la malice n'échappe pas à Antoine.

Et imaginons toujours, poursuit-elle, que la personne en question devienne aveugle définitivement. Pourriez-vous vivre avec elle ? Croyez-vous que vous l'aimeriez de la même façon ? Supporteriez-vous son handicap ? Pensez-vous que l'amour serait plus fort que les frustrations et les inconvénients engendrés ?

Antoine se rapproche d'elle. Il lui pose une main sur le visage qu'il parcourt tendrement dans les moindres recoins visibles. Il la regarde un instant avant que ses lèvres se dirigent vers celles de sa charmante voisine. Peu à peu, sans empressement, comme s'il désirait reculer le plus possible le moment du contact et qu'il souhaitait être certain de ne pas voler la marque d'affection qui va s'ensuivre et qui semble inévitable.

Tandis que la peau de son visage se laisse volontiers envahir par de subtiles caresses, elle devine le souffle d'Antoine qui s'approche lentement. Elle se sent passive et impuissante face au destin, face au moment. Sa respiration se saccade. Elle a la sensation d'être une coquille de noix sur un océan obscur dont elle ne connaît pas les limites, mais qu'elle sait par avance dessiné par de merveilleux contours.

Son cœur s'accélère tandis que l'intérieur de son être s'illumine. Pourquoi tant d'étoiles soudaines dans ce ciel que ses yeux privent de lumière ? On dit que les grands esprits se rencontrent. Et les êtres parfaitement compatibles, se rencontrent-ils parfois aussi ?

Cet instant présent,  serait-il le moment de LA vraie rencontre ? Le contexte dans lequel elle se trouve devrait freiner son ardeur. C'est sûr qu'elle la freine. Leurs souffles rapprochés font tourbillonner des papillons multicolores venus par on ne sait quel sortilège se poser sur le peu de place qui désormais sépare leurs visages.

Des rayons de sensualité viennent parfaire l'instant, amplifiant plus encore l'ampleur de leur attrait mutuel. Plus rien au monde ne peut maintenant éviter le contact entre des lèvres saupoudrées d'une alchimie dont l'harmonie ne demande qu'à s'épanouir...

Magie du mouvement qui anime les êtres... Ces secondes que la vie daigne parfois prêter aux humains sont une unité de mesure qui déraille, puisqu'il leur arrive de durer des siècles. Une autre unité de mesure, celle de la distance, pourrait à cet instant précis estimer à deux centimètres le flux d'électricité qui sépare leurs lèvres. Même toute l'adresse d'un pilote chevronné de formule 1 ne pourrait  plus, à ce moment précis éviter l'impact ! Quoique...

 

- Voulez-vous quelque chose d'autre? Questionne soudain une serveuse arrivée de façon impromptue et visiblement désireuse de satisfaire ses clients.

La fascination de l'instant s'estompe aussitôt par la force des choses, ramenant à la réalité deux oiseaux, qui une seconde avant étaient sur le point de s'envoler vers un voyage pour lequel imagination, tendresse et désir avaient pris un billet aller sans retour.

Les éclats de leur rires parfaitement synchrones déchirent l'air, au point que la serveuse repart aussitôt, emportant sans doute dans ses bagages une petite dose de culpabilité. Elle a compris trop tard les conséquences de son arrivée soudaine, sans toutefois pouvoir imaginer la véritable "ampleur des dégâts" qu'elle vient involontairement de causer.

Un fou rire interminable et commun vient estomper leur frustration et tenter de masquer maladroitement le sentiment de gêne que les acteurs d'une scène improvisée et manquée, éprouvent désormais tous deux à cet instant.

 

 

 

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