Pour toute réponse,
Antoine prend la chanson en marche, et entame
le refrain en parfaite cohésion avec la
musique et la salle entière. Les regards
sont maintenant tous tournés vers eux. La
jeune femme est déboussolée, ne comprenant
rien à cet étrange moment par lequel elle
est totalement dépassée.
Antoine prend alors la
main de sa compagne et y glisse doucement
une coupe remplie, en lui lançant :
- A toi, A nous !
C'est une sorte d'anniversaire, puisque
c'est notre premier jour
!
La jeune femme manifestement
ébahie ne peut qu'imaginer la scène environnante,
quelque peu enivrée par la musique autant
que par la tournure que vient de prendre
la soirée. Elle est désormais certaine qu'Antoine
est fou, mais un fou qu'elle adore pour
sa personnalité et son humour. Mais elle
l'apprécie aussi pour son sens des surprises
et
son esprit inventif, ainsi que par sa gentillesse et son envie constante
de lui faire plaisir.
Elle ressent cependant
un léger
moment de tristesse forgée par quelques
secondes de frustration. Elle se
rend subitement compte à quel point elle
aurait aimé pouvoir se lever à cet instant
précis, et se diriger vers Antoine afin
de l'embrasser. Mais comment étaler ainsi
son infirmité dans un contexte pareil...
Sa témérité reprend
néanmoins vite le dessus. Qu'importe l'image
d'infirme qu'elle donnera d'elle même en
se levant et en cherchant son compagnon
à tâtons.
Elle sait qu'Antoine
n'éprouvera pas de gêne, et qu'au contraire
il sera fier d'elle si elle ose, car il
est loin d'être quelqu'un de conventionnel.
Elle se
lève alors lentement tout en épousant d'une
main les limites de la table qu'elle contourne
maintenant avec une aisance qui la surprend
elle-même. Elle se glisse derrière le siège
d'Antoine, et se baisse à son niveau
attendant manifestement qu'il se retourne.
Une fois son compagnon légèrement tourné vers elle,
la jeune femme cherche ses lèvres du revers
de la main, les trouve, et y dépose un baiser
furtif.
La musique est alors
couverte par les "bravos"
des personnes présentes dans la salle
qui en réclament visiblement davantage.
Ce lieu aux allures de prestige parait
soudainement se teindre d'une ambiance digne d'un
cirque romain. Elle perçoit les sons
désordonnés venant de toutes parts, et les
rires, les rires qui s'amplifient et dont
elle a du mal à percevoir le sens. Pourquoi
ces rires ?
Une partie de l'énigme
va lui être dévoilée sous une forme inattendue.
Quelqu'un se trouvant derrière elle lui
pose les mains sur les épaules,
alors qu'elle même est accrochée à celles
d'Antoine, toujours assis. Elle panique.
Qui est la personne postée debout derrière
elle et posant les mains sur elle
?
- Antoine ! Mumure-t-il
à son oreille. Je suis derrière toi et le monsieur assis
devant toi et que tu es en train de câliner, est
le serveur. Et tu viens de l'embrasser sur
la bouche ! Finit-il de dire à la jeune femme
qui comprend en une seconde la farce
dont elle vient d'être victime.
Antoine
l'a piégée avec la complicité de circonstance
du serveur désireux de faire plaisir à ses
clients, et qui n'a même pas cherché à comprendre.
Il faut dire que s'étant fait embrasser
devant des centaines de spectateurs par
une jolie fille, il est loin de regretter
sa position de complice improvisé à la hâte
!
- C'est lamentable et lâche, d'abuser
ainsi de l'infirmité d'une personne, et
de se moquer d'elle en public !
Ces mots retentissants
claquent en l'air comme un violent coup
de fouet, d'autant plus que l'orchestre
a
cessé de jouer depuis quelques secondes. Le bruit
s'est estompé et le silence qui s'est
ensuivi après que cette phrase ait été lancée
devient pesant.
Antoine semble embarrassé.
L'homme frétillant quelques instants auparavant
n'en mène pas large. Il rêverait probablement
d'être
loin, très loin à cet instant précis.
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