Luis dépose la grande valise bleue et le sac de voyage jaune pastel de la jeune femme dans le coffre de la voiture, tandis qu’elle s’installe à l'arrière, l’air songeur. La voiture démarre lentement. Un dernier signe de la main en guise d'au-revoir à sa mère qui parvient difficilement mais dignement à retenir son émotion. Retenir son émotion ! Un cadeau qu'elle s'est imposée de faire à sa fille quand elle partirait, afin que les adieux n'aient pas des allures de drame.

Quant à son père, il s'est déjà éclipsé à l'intérieur de la maison. Elle s'en doutait, car elle le connaît bien, son papa Alberto.

Elle sait exactement ce qui se passe à cet instant précis dans sa tête, et imagine sans peine la taille des nuages pluvieux qui envahissent son regard. Elle lui a d’ailleurs laissé son mouchoir blanc brodé de ses initiales, posé sur l'accoudoir du fauteuil. Elle sait qu’il vient de  s’y asseoir, déversant plus d’eau de ses yeux que n’en contient la rivière où ils se baignaient tous deux lorsqu'elle était enfant.

Elle lui pose la main gauche sur l’épaule en pensée, et lui caresse tendrement le visage du revers de l’autre main. Elle est certaine que même à distance il perçoit ses gestes de tendresse. Une fille ressent l'émotion éprouvée par son père comme personne d’autre au monde. Même la distance de l’univers tout entier ne pourrait briser ce lien d’une intensité inexplicable qui circule mystérieusement entre eux. Ne t’en fais surtout pas pour moi papa, tout se passera bien, disent à demi-mot ses lèvres s'entrouvrant malgré elle.

Tandis que le taxi se dirige vers l’aéroport d’Orly au sud de Paris, les images qui défilent par la fenêtre de la voiture passent probablement au ralenti. Son passé doit sans doute dérouler son film à l'envers tentant de freiner avec insuccès le futur qui s'avance.

Elle éprouve une drôle de sensation. Elle a l’impression d'émigrer à l'envers, car chose curieuse, elle émigre dans son pays, ou du moins, le pays de ses parents. Quelle idée, se dit-elle d’un ton intériorisé mais malicieux, afin de retrouver un peu de ce délicieux sourire qu’on lui vante tant.

Elle paraît maintenant avoir totalement retrouvé ses esprits. L’indécision n'a désormais plus sa place.

Elle doit vivre pleinement sa vie. Sera-t-elle heureuse ? Si elle pouvait le savoir à l’avance ! La réalité se montrera-t-elle à la hauteur de ses rêves, ou du moins de ses espoirs difficiles à exprimer pendant tant d'années ? Que va-t-elle devenir dans ce pays qui abrite le passé de ses racines, mais peut-être pas vraiment les racines de son passé ?

L’aventure, "son" aventure, est commencée. Direction le Portugal pour de bon !