L'avortement
en débat au Portugal
Si
les pays européens ont en majorité dépénalisé
l'avortement, il n'en est pas de même au Portugal,
qui possède d'ailleurs dans ce domaine
une des lois les plus restrictives d'Europe.
Trois
ans de prison pour crime
D'après la loi portugaise
en
vigueur, une portugaise ne peut pas se faire
avorter. Et si elle le fait, son acte est considéré
illégal. Elle risque alors une peine de trois ans de prison
pour crime.
Cette loi engendre de vastes
dégâts, car si les portugaises ayant les moyens
financiers peuvent se permettre de se rendre à l'étranger afin
d'avorter; ce n'est pas le cas de 20 mille autres
qui par contre avortent chaque année au Portugal en complète
illégalité et souvent dans des conditions mettant leur
propre vie en danger.
L'archaïsme des actes
effectués clandestinement aboutit d'ailleurs
à ce que 5 mille d'entre elles soient en moyenne
chaque année transportées à l'hôpital en urgence
suite aux conséquences d'un avortement effectué
"en cachette" et dans des conditions
sanitaires plus que précaires. D'autres,
qui pour des motifs personnels les plus
divers ne souhaitent qu'en aucun cas leur entourage
puisse être tenu au courant, se morfondent dans
un état de santé désastreux, et en conservent
souvent des séquelles durables voire définitives.
Mauvais
souvenirs...
Ainsi, Fernanda (nom
d'emprunt) garde des séquelles à vie physiques
et psychiques d'un dramatique épisode.
"Ma grande jeunesse
à l'époque, l'absence d'information ainsi que
mon manque d'assurance et de confiance
en moi, m'ont amenés à me laisser très
vite berner par un garçon alors que je n'étais
qu'une enfant. J'ai voulu "mettre
la charrue avant les boeufs" et je suis tombée
enceinte. J'avais à peine 17 ans.
Le garçon s'est alors totalement
désintéressé de la question. Rien. Aucun réconfort,
aucun support moral ni conseil, aucun mot, aucun
contact. Il s'est volatilisé en me laissant complètement
seule avec
ce terrible poids. Je suis devenue folle. Je
n'en ai parlé à personne car si mon père l'avait
appris il m'aurait tuée. Mais s'il avait appris
après coup que j'avais avorté, il m'aurait
tuée de la même façon.
Je tremblais car j'étais
perdue et fragile mais j'ai néanmoins décidé de régler
seule la question en silence. Je suis allée un jour dans une forêt pour
faire "le nécessaire". J'ai baigné dans ma souffrance
en pleurant, criant, hurlant; J'avais mal
au point que j'ai voulu mourir, et j'ai effectivement
failli crever seule, car seuls les arbres
m'ont tendu leurs bras. Je me suis terrée quelques
heures comme un animal
sans aucun soutien moral ni physique. Malgré
la douleur et la souffrance je suis parvenue
à rentrer
chez moi et j'ai réussi à tenir cela secret.
Je me demande encore comment. J'ai vraiment
eu beaucoup de mal. C'était
inhumain. Cet épisode atroce me hante chaque jour
de mon existence.
Je ne suis pas morte physiquement
mais je crois que je n'existe plus vraiment dans ma tête. Je
ne sais pas si c'est ainsi pour toutes les femmes
ayant du avorter dans l'illégalité et dans des
conditions inhumaines et injustes, mais moi j'en garde
des terribles séquelles. Je crois
que je suis traumatisée à vie. Si ça avait pu
se faire légalement en préservant l'anonymat
et dans de bonnes conditions sanitaires,
tout ceci aurait été évité.
J'aurais été comprise, surveillée, soignée et soutenue,
et au moins "j'existerais" probablement encore".
...
Quant à Alice, résidant
à l'époque dans les faubourgs de Lisbonne,
elle se souvient parfaitement du "film"
vécu, de la vielle dame, de la peur au ventre,
du contexte glauque, des douleurs, des cris et
des conséquences. Un cauchemar. C'est le pire
souvenir de ma vie et j'en ai voulu à la
terre entière de m'obliger à accomplir ça dans
de telles conditions. C'est aberrant de ne pas
vouloir comprendre que chaque cas est unique, que chaque
situation est en soi à respecter, et c'est ignoble
de pousser dans ces limites des milliers de femmes
qui n'ont pas forcément le choix, au risque de les tuer d'une façon
aussi sinistre et sordide. Sans compter qu'elles
doivent tout assumer sans aucun soutien psychologique.
A la question : "Et
si c'était à refaire", elle répond : "Je
ne sais pas, mais
je crois que je n'aurais pas avorté, pas comme
ça, mais sans doute par égoïsme car j'ai
trop souffert. Mais cela
aurait-il été mieux pour l'enfant ? Cela aurait
engendré deux malheureux car je me serais prise pour une misérable
toute ma vie, vu que j'aurais à l'époque du le
confier à une institution. Un enfant mérite-t-il
ça en venant au monde ? Il m'aurait en effet
été complètement impossible de m'en occuper
avec dignité sur le plan matériel et affectif, au
vu du contexte dans lequel je me trouvais.
C'est
choisir entre le mal et le pire, vu que la loi
souhaite décider à la place des femmes. Ne pas
être maîtresse de son corps peut engendrer des souffrances
terribles dramatiques à certains moments de
la vie d'une femme. On pense être en 2000 mais on est encore au
moyen-âge. Alors que tout serait si simple si
on avait le choix comme dans la majorité des
pays européens."
Avis
contraires
Francisco et
Ana Maria, tous deux natifs du nord du Portugal, considèrent
pour leur part qu'à partir du moment où on a
donné la vie, on se doit de l'assumer coûte
que coûte.
"Personne n'est en droit
de jouer comme il l'entend avec un être vivant,
dit Francisco avec sérieux et conviction. "C'est immoral et inhumain.
Et pourquoi un embryon ne serait-il pas considéré
comme un être vivant ?"
Ana Maria a elle-même
été confrontée à une grossesse non désirée.
"Ce qui fait la force et la valeur
des êtres c'est leur capacité à assumer
les conséquences de leurs actes jusqu'au
bout et à respecter les autres. Or avorter c'est
ne pas assumer, et c'est surtout tuer quelqu'un
d'autre. Moi, j'ai assumé sans en tirer aucune
gloire. Je n'ai fait que respecter la vie que
j'avais moi-même créée. Comment aurait-il pu
en être autrement ?
Certes, il y a parfois des
cas spéciaux pour lesquels la loi pourrait être
un peu aménagée. Mais si on venait à légaliser
l'avortement, l'IVG pourrait même finir par
devenir une sorte de moyen de contraception
"après coup", et être la porte
ouverte à la banalisation d'un acte grave. On
risquerait de ne plus respecter du tout
la vie. Les humains peuvent-ils s'accomplir
sur ces bases ? Ma réponse est clairement négative."
Nouveau
débat
Un référendum a déjà
eu lieu au Portugal en 1998, et le "non
à la dépénalisation" l'avait emporté
d'une courte majorité (51%). Cependant, seuls
32% des électeurs s'étaient déplacés à l'époque
jusqu'aux urnes.
Le premier ministre
portugais José
Socrates souhaite désormais
un nouveau référendum sur la question, se
déclarant d'ailleurs lui-même clairement en
faveur de la dépénalisation de l'avortement. Un
débat est donc actuellement nouvellement lancé
au Portugal sur le sujet de l'IVG.
Les opposants de l'avortement
souhaitent que la loi portugaise continue à
considérer les femmes qui avortent comme des criminelles.
Les partisans de l'avortement dépénalisé dénoncent
quant à eux une volonté obstinée de persécuter
les femmes par le biais d'une loi qui maintient
par ailleurs le Portugal hors de la voie de
la modernité et de la liberté, et donne du pays
une image arriérée, puisqu'il s'agit d'un des
rares en Europe avec Malte, l'Irlande et
la Pologne, à encore considérer légalement l'avortement
comme un crime et à ne pas laisser la femme
libre de son corps et de son choix.
Référendum
Le parlement
portugais vient de donner
le "feu vert" pour la tenue d'un prochain
référendum sur la dépénalisation de l'avortement,
en approuvant en majorité un nouveau référendum
sur la question.
La proposition émane
du parti
socialiste portugais qui dispose
actuellement de la majorité parlementaire absolue. Le principal
parti d'opposition de centre-droit
(PSD)
ainsi que la bloc d'extrême gauche ont également approuvé
le texte.
Le parti conservateur CDS-PP s'est abstenu.
Les communistes ont quant à eux été les seuls à voter contre.
Les
portugais auront donc bientôt à trancher par
référendum sur l'IVG (interruption volontaire
de grossesse). Il suffit pour cela au Président
de la République d'en fixer la date.
La
question posée aux portugais ...
La question prochainement
posée aux portugais sera de savoir si "oui"
ou "non" : "ils
souhaitent que
l'avortement réalisé avec le consentement de la femme, dans les 10 premières semaines de grossesse,
et effectué dans un établissement de santé
légalement autorisé", cesse d'être considéré
par la loi portugaise comme un crime."
Rappel : En France, l'avortement
a été dépénalisé par la loi Veil depuis 31 ans.
(janvier 1975)
Mario Pontifice - Portugalmania - Le 23 octobre 2006
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