La magie d'Almourol (suite)

 

- Comment vous appelez-vous ? Que vous est-il arrivé ?

La jeune fille allongée sur le sol ouvre les yeux lentement en entendant cette voix d'homme lui murmurer ces questions.

Que m'arrive-t-il ? Demanda-t-elle. Où suis-je ? Qui êtes-vous ?

- Je vous ai trouvée là, inerte. répond le jeune homme attendri par le contexte, mais rassuré quant à l'état de la jeune fille, qui peu à peu reprend tous ses esprits, au point d'ailleurs qu'elle décide de se lever soudainement, mais mal lui en a pris car ses forces n'étant pas encore intactes, elle se retrouve dans les bras du jeune homme qui heureusement a pris a peine de l'aider.

Un éclat de rire commun vint déchirer le ciel et cette magnifique vallée verdoyante du Tage désormais plongée dans une quasi-pénombre, vu que le soleil s'est offert le luxe de se coucher.

Le jeune homme lui explique la raison de sa présence à Almourol, "finalement", dit-il, " bien utile au vu des circonstances".

***

Constance ! s'exclame la jeune fille. Constance est un mot qui résonne comme un sourire dans ma tête. J'adore le village de Constance (Constancia). C'est un village propice à l'amour. Il semble y régner plénitude et sérénité. Je suis originaire de là-bas. Elle ajoute en souriant "on dirait que je parle d'un lieu lointain alors que Constancia n'est qu'à quelques kilomètres. Je n'y habite plus mais j'y suis née", finit de dire la jeune fille.

C'est drôle car je suis aussi originaire de Constancia. Mais mes parents en sont partis alors que j'avais dix ans, dit le jeune homme.

Dix ans ? Tu es parti de Constancia à l'âge de dix ans ? Interroge la jeune fille qui curieusement se met à tutoyer son interlocuteur.

Oui, dix ans. Le jour exact de mes dix ans d'ailleurs. Répond le jeune homme.

Joao ! Crie la jeune fille comme si elle venait de trouver la réponse à une énigme d'une importance capitale ! Tu est Joao Alves, finit-elle de dire avec une certitude dans le regard ne souffrant pas la contradiction.

Ca fait bien douze ans que tu es parti de Constancia, n'est-ce pas ? demande-t-elle au jeune homme qui désormais sent sa mine blêmir peu à peu. La couleur verte et éclatante de ses yeux contraste avec la pâleur soudaine que prend son visage. D'un air perplexe, il marque un temps de pause et répond...

Oui, c'est ça. Douze ans que je suis parti vers une autre ville du Portugal, loin d'ici, et... - après trois secondes de silence il poursuit - ... Douze ans que je pense à toi nuit et jour, Anabela ! fini-t-il de lancer, pratiquement les larmes aux yeux.

***

Le silence est désormais devenu le seul maître à bord d'Almourol, ce château soudainement devenu bien plus magnifique que d'habitude, plus précieux que tout au monde, plus magique que l'infinité du néant et que l'incertitude de l'existence.

Le grandiose lutte contre le merveilleux dans cet endroit transformé en une antre somptueuse de splendeur. Un parfum subtil de tendresse envahit le donjon d'Almourol et imprègne probablement de façon profonde l'histoire enfouie dans ces pierres qui sont parvenues à traverser le temps et à préserver des mystères dans ce château décidément fabuleux.

Almourol est devenu plus beau qu'un poème d'enfant, ce genre de poème qu'une petite fille de neuf ans écrit pendant une nuit entière à l'encre de ses larmes, afin de l'offrir à son petit amoureux le jour de ses dix ans, le jour-même où celui-ci se sépare d'elle probablement pour toujours, étant obligé de suivre ses parents vers un ailleurs qui les éloignera à jamais.

Certes, un garçon de dix ans est un homme, un vrai, un grand. Il sait donc se retenir de pleurer dans ce moment déchirant des adieux, quand sans avoir le choix, il est obligé de quitter sa petite fiancée, sa complice de jeux, sa confidente depuis toujours, celle avec qui ils s'étaient ensemble promis de ne jamais se séparer...

Insouciance de l'enfance et utopies de l'innocence contrariées par des brides injustes de vie.

Mais du haut de ses dix ans, ce grand homme qui parvenait à jouer aux adultes le temps du départ, une fois parti vers la destinée que la vie lui dictait, s'était arrêté de vivre, gardant enfoui en lui ce grand amour éternel mais impossible du fait de la distance qui les séparait. Que de nuits et d'oreillers ont été inondés en silence par la tristesse sortie de ses yeux d'enfant... Que de souffrances en secret, que d'injustice ressentie... d'être ainsi par la force des choses séparé de cette petite princesse pour qui il éprouvait des sentiments d'une force incroyable - plus forts que l'amour des grands, se plaisaient-ils à se dire mutuellement à l'époque... lui et cette petite fille qu'il aimait tant...

Cette petite fille, qui de son côté avait cessé de vivre le jour du départ de son petit Prince, celle qui pensait à lui chaque jour que Dieu faisait, qui avait perdu toute trace de son complice de toujours, et en qui demeurait une sorte de secret espoir destiné à la hanter jusqu'à la fin de ses jours.

***

Ils sont là, tous deux face à face et agenouillés sur le sol de ce donjon magique d'Almourol, main dans la main, les corps tremblants, et ne comprenant pas vraiment la réalité de cet instant qu'ils n'auraient plus cru possible même dans leurs rêves les plus flous. Leurs regards brillent d'une intensité plus forte que le plus beau des feux d'artifice. Un sourire attendri les réunit dans une complicité retrouvée que le temps n'a visiblement pas réussi à détruire, et dont ils savent qu'elle sera dorénavant plus intense que jamais, et plus belle que l'absolu.

Les mots sont inutiles à cet instant car les images défilent de toutes parts dans les têtes de ces deux oisillons interloqués par l'incroyable contexte dans lequel ils baignent avec délectation. Ils ne demandant désormais à la vie que de ne plus jamais les séparer.

Il plane sur Almourol une quiétude bienveillante tandis que leurs lèvres ne vont pas tarder à se rejoindre... Elles se rapprochent, s'effleurent, doucement... lentement... dégustation intense et subtile d'un instant qui vaut bien plus que de l'or...

La magie du château n'a pas manqué son rendez-vous. Almourol est bel et bien un porte-bonheur, sans doute même le symbole de la chance absolue. Personne ne pourra en tout cas jamais convaincre du contraire les deux jeunes amoureux, qui quittent maintenant l'îlot d'Almourol et regagnent la rive dans la petite barque qu'avait empruntée la jeune fille pour se rendre au château.

La petite embarcation glisse sur les reflets encore visibles du Tage malgré la pénombre.

Au loin, sur la rive opposée, une ombre semble alors leur faire un signe amical, auquel les deux tourtereaux répondent en cœur par un "Merci" sorti on ne sait pourquoi de leur bouche exactement en même temps. Cette étonnante réaction, et qui plus est simultanée, ne semble pas les surprendre. Un éclat de rire commun et amusé s'ensuit, marquant les prémices d'un nouveau départ, le vrai, et d'une grande et radieuse histoire d'Amour, qui n'en doutons pas, a déjà un parfum d'éternité...

Suite et fin